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un prof ?

On devient prof parfois par hasard ou faute d’imagination. On devient prof souvent parce qu’enfant, on a été marqué par un prof, un prof formidable qui nous a ouvert les portes d’un monde insoupçonné ou au contraire, un prof détestable qui nous a donné envie, devenu adulte, de prendre notre revanche, et de réparer ce qui a été cassé, par nouvelles générations d’élèves interposés.

De la pratique avant toute chose

Mais avant tout, on devient prof grâce aux élèves. C’est dans la pratique que le professeur se forge. C’est toujours drôle ou navrant d’entendre un tel ou un tel dire qu’enseigner c’est ceci ou cela simplement parce qu’il a été élève avant, que les élèves aujourd’hui sont comme si ou comme ça parce qu’il a vu un reportage, que telle ou telle pédagogie fonctionne ou ne fonctionne pas, parce qu’il a lu 2 livres sur le sujet et suivi une conférence.

Chacun détient peut-être un élément de réponse mais il faut être enseignant pour « vivre » ce que c’est qu’être prof. Et parfois même, on peut longtemps exercer son métier inconsciemment, « en aveugle », sans conscience véritable de ce qui se joue en classe. Il y a, cependant, une chose merveilleuse dans ce métier : le face-à-face ne trompe jamais ; enseigner peut être une expérience tellement frontale qu’on est forcé d’ouvrir les yeux ou alors de consciemment les garder clos…c’est loin d’être rare d’ailleurs, mais c’est une autre histoire…

Bricoler et inventer

Face aux élèves, on est forcé avant tout de s’exercer à l’art de résoudre des problèmes, comme un bon bricoleur doit trouver une solution pour arriver à ses fins. Enseigner c’est inventer, créer et tester des solutions qui peuvent marcher ou pas. Pour laisser la métaphore du bricolage de côté, on pourrait dire qu’enseigner c’est d’abord une posture de recherche et d’ingénierie.

« Ingénierie » parce que enseigner c’est chercher avant tout à résoudre le problème du « comment transmettre », mettre en place des protocoles, tester, évaluer, recalibrer, proposer des évolutions…

« Recherche » parce qu’il faut se mettre dans la peau de celui qui apprend de nouvelles choses ou qui réapprend différemment les choses qu’il connait déjà. Difficile de transmettre quoique ce soit qui nous semble une évidence. Si l’on veut être audible pour les apprenants qui sont face à nous, on doit se mettre dans la même position qu’eux : apprendre, avec humilité, nous aussi.

Un bon prof n’est pas forcément celui qui détient le plus de savoir même si c’est bien mieux d’avoir un certain recul sur les apprentissages à mener. Mais qu’est-ce que c’est bon aussi quand les élèves maîtrisent leur sujet, proposent des suggestions enthousiasmantes, qui vont plus loin que ce que l’enseignant lui-même avait prédit ou visé : la force du cerveau collectif !

Est à sa place celui qui est capable d’interroger sans cesse son propre rôle : comment fonctionnent les élèves entre eux ? comment fonctionnent les élèves dans leurs interactions avec le prof : faut-il les aider, les réveiller, les mettre en difficulté (et oui ça peut être une solution), au contraire, les rassurer, accepter qu’il y ait un temps de latence incompressible… ? comment s’articulent les apprentissages, les émotions, la mémoire, la motivation, etc. ?

Ce questionnement qu’il faut mener en parallèle au quotidien de la vie d’une classe ne s’invente pas. Ne devient pas clairvoyant qui veut ! C’est un long processus de maturation. Il existe bien évidemment des profs débutants qui auront cette fibre-là, mais soyons honnête, il faut avoir beaucoup lu, avoir été confronté à de nombreuses situations-problèmes, avoir tâtonné, avoir usé des heures à échanger avec ses paires, etc. pour être conscient de ce qui est en jeu et que les apprentissages se fassent.

Formation

Et pourtant aujourd’hui, tout le monde est unanime sur le sujet, les profs sont peu formés au départ et la formation continue est quasi nulle (dans le sens de « absente » et de souvent « très limite » aussi…c’est du vécu). Tout au plus, ont-ils un savoir académique solide. La formation reste encore aujourd’hui très centrée sur les savoirs académiques et non sur les pratiques pédagogies. De plus, tous n’ont pas passé les concours de l’enseignement. Il suffit de posséder un bac+3 dans la matière enseignée pour devenir remplaçant. Et l’Education Nationale a du mal à recruter…Alors, il n’est pas rare de voir certaines personnes débarquer littéralement en cours d’année, en ayant validé quinze ou vingt ans en arrière le fameux bac+3, parfois dans des universités douteuses, et être abandonnées, pour le secondaire, devant 3, 4, 5 classes de niveaux différents. Sans autre forme de procès. Et quand on ne trouve pas à recruter ainsi, les classes se retrouvent simplement sans professeur pendant 1 mois, 2 mois…ou jusqu’à la fin de l’année…

Je ne suis pas experte dans les systèmes éducatifs étrangers mais je m’interroge : est-ce que le manque de formation continue dans notre système français est symptomatique de notre façon de concevoir l’école ? comme si être prof ne s’apprenait pas, comme si être prof faisait partie de l’innée et qu’il suffisait d’aimer lire pour rendre limpide le délicat exercice de l’explication de texte au lycée ou digeste la grammaire à des élèves qui en soupent jusqu’à l’écœurement depuis le CP ?

Multi-casquette

Alors finalement, être prof, c’est être un peu seul…Et en plus de la casquette de chercheur et d’ingénieur nécessaire pour que le travail se fasse, on peut ajouter le casque de pompier. Un prof, c’est parfois aussi un pompier parce qu’il faut parer au plus pressé : faire ce qu’on peut, avec très peu, et être le nez dans le guidon (ou sur la lance à incendie…pour filer la métaphore) tant le manque de recul sur nos pratiques rend notre métier difficile à vivre en pleine conscience.

Casquette de chercheur ou d’ingénieur, casque de pompier et attirail d’aventurier, disons-le, pour finir sur une note positive (et une dernière métaphore un peu fumeuse) : quand on est prof, on a l’immense privilège de grimper en haut des cimes, de « kiffer à mort » l’effort et le paysage (ou l’aventure humaine et intellectuelle que représente la transmission des savoirs), et puis d’être surpris aux larmes par la beauté (le processus de l’apprentissage !) et parfois même, oh, miracle ! on est en cordé avec d’autres chercheur-ingénieur-pompier-aventuriers !

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